Batanga un roman historique à découvrir

Le titre du roman est évocateur et révélateur d’une histoire passionnante et réelle ,«Batanga» sorti du laboratoire du génie littéraire d’Édouard Ehoungue nous transporte vers le début du XXème siècle et plus particulièrement à Kribi lors de l’occupation allemande , ce roman historique est un travail d’orfèvre qui a le mérite de retracer l’histoire de tout un peuple et par ricochet celle du Cameroun pendant la première guerre mondiale .Pour la nouvelle génération , ce roman se présente comme une boussole , car comme on le dit de manière triviale «Les Batanga viennent de loin » ,ce roman de 311 pages paru aux Éditions de Midi est un cocktail littéraire qui slalome sur plusieurs thèmes , entre tradition , colonisation , amour .Les apôtres zélés de la littérature sont servis .

L’historien Burkinabé Joseph Ki Zerbo déclarait que les africains gagneraient mieux à s’imprégner de leur histoire au lieu d’apprendre celle des occidentaux , car un peuple qui connait son histoire inscrit ses actions dans le registre du développement .C’est dans ce sens qu’avec le cœur et la raison , Édouard Ehoungue animé par une envie patriotique et littéraire a bien voulu exhumer et répandre les cendres de l’histoire des Batanga à la postérité .
Car , il est important d’écrire sa propre histoire , car celle écrite par les occidentaux est truffée de contre sens . Comme un tisserand , l’auteur a ficelé et nivelé ses recherches pour nous servir un chef d’œuvre .Il nous présente la colonisation dans ses ténèbres projets et la riche culture Batanga , car comme le dit si bien Cheick Anta Diop l’Afrique noire a une histoire riche et est fondatrice de la civilisation mondiale .Le roman débute par une histoire épique , le jeune et téméraire pêcheur Bokamba remonte dans ses filets une boîte en aluminium importante pour une vieille femme , cette boîte déclenche le récit du narrateur . L’incipit du roman se déclenche par un mariage interethnique entre une Batanga et un jeune commerçant bulu , les détails de ce mariage démontrent la richesse culturelle du Cameroun , car de manière implicite un procès est fait aux colons occidentaux , les africains ont bel et bien une manière traditionnelle de célébrer le mariage . Après les cérémonies la jeune Ebobi est conduite chez son mari à Ebolowa, en route , elle constate un antagonisme vestimentaire, il y’a certains noirs qui s’habillent comme chez les blancs et d’autres qui préfèrent porter des habits traditionnels .En route , elle décrit la spoliation du noir par le colon «Je fus indignée par des colonies de porteurs qui traversaient silencieusement Kribi pour se rendre à Ebolowa .Je n’osais imaginer que ces pauvres jeunes gens vêtus d’un simple tissu leur entourant la taille ou d’un quelconque pantalon , le torse nu ,marcheraient des jours entiers dans la forêt , parfois la nuit pour recevoir à peine quelques marks » narre l’auteur , il affirme que ces jeunes transportaient de l’acajou , de l’hévéa, le palmoil , l’ivoire , le caoutchouc .Le narrateur démontre la monstruosité noire des allemands car certains noirs après leurs périples dans la forêt passaient de vie à trépas «l’allemand qui les accompagnait ordonnait aux autres de creuser un trou pour l’enterrement ,sans la moindre prière » .Dans une démarche pédagogique , l’on apprend que le quartier Brima dans la ville de Kribi était l’épicentre du siège des allemands , les firmes commerciales(
woermannn, Thormällen et Jantzen ) actrices du traité germano-douala du 12 juillet 1884 étaient aussi installées. La sœur de la mariée ,Bito personnage principal employée d’un hôpital quoique parlant la langue allemande et en couple avec un allemand subissait les foudres du racisme «Ce n’est pas parceque vous êtes une indigène des plus instruites, brillantes et de surcroît la fiancée d’un officier allemand , que ça vous accorde quelques égards », elle était détestée par d’autres allemandes parcequ’elle était adulée par les officiers du Reich .À la fin d’une cérémonie , elle mit fin aux avances de Josef, un officier allemand qui la courtisait , ulcéré, il la gifla violemment .De ce fait , elle prit la ferme décision de haïr un peu plus les soldats allemands . Comme l »a dit Frantz Fanon le système colonial est un système mortifère entretenu par des hommes sans foi ni loi , cette assertion du célèbre écrivain est représentée au chapitre 4 , Malapa Ndoi , un Docker est venu trouver sa femme Llalé qui était partie pêcher les huîtres près du village de Bongandé violée par un allemand . Aussitôt , débuta une bagarre qui aboutira à la mort du violeur .Aucun respect des valeurs judiciaires , le procès déboucha par la pendaison du couple par les allemands. Au fur et à mesure qu’on dévore avec envie les pages de ce roman , l’on apprend l’origine du nom Kribi «Un jour les Portugais sont arrivés sur les berges de Lohové .Là ils trouvaient un indigène bancal ,court et vraiment affreux .On l »appelait Bongondjé . Curieux de voir un être aussi méprisant, l’un de ces blancs l’appelera Kikeribi . Après on dira Kikribi .Et plus tard on retiendra Kribi ».
Selon la cosmogonie africaine , il est judicieux et voir impérieux de respecter les injonctions des personnes âgées , rendue chez sa grand-mère , la jeune infirmière va rencontrer Salomon et la flèche de Cupidon va transpercer son cœur , avec un style original , le narrateur raconte le coït survenu entre les deux tourtereaux . Entre l’enclume de son nouvel amant Salomon et le marteau de l’officier allemand Josef , elle parvint à maintenir l’équilibre .Car si Josef découvre sa relation avec le jeune pêcheur , les représailles seront dévastatrices .Le chapitre 9 , s’ouvre avec l’annonce de la nomination de Zimmermann comme Commandant Supérieur des troupes allemandes .
En outre , à cause de la politique anthropophage et méchante des allemands , une prise de conscience s’est installée au sein des populations autochtones qui réclament le départ des colons .Ce sentiment de haine augure un lendemain de guerre entre l’Allemagne et la France .«Il existe entre la France et l’Allemagne un sentiment de haine qui n’a plus sa limite .Depuis la crise de Fachoda en 1898 , le coup d’Agadir en 1911 et de nombreux autres accrochages de ce genre …Depuis l’annexion par l’Allemagne de l’Alsace et la Lorraine , les français cultivent une profonde haine envers nous et cette haine est plus que jamais à son paroxysme .» peut-on lire à la page 106 .La concaténation des évènements tragiques poussa les Kamerounais à la résistance face à l’Allemagne avec les assassinats du Roi Batanga Madola ma Dimalé , le Roi Duala Manga Bell , Ngosso Din et Martin Paul Samba .
La première guerre mondiale au Cameroun où s’affrontaient allemands , français et anglais était horrible , le chapitre 13 raconte les affres de cette guerre dans les villes du Kamerun . La détermination des alliés à chasser les allemands du berceau de nos ancêtres était vivifiée par les populations locales .En causant avec son époux allemand , la jeune infirmière Bito apprit que son amant Salomon est mort dans un bateau et que son corps a été jeté dans la mer . Ulcérée ,elle regarda son mari avec un air furieux , comme un symbole , les français ont commencé à bombarder Kribi et les soldats allemands tombaient comme de la laine . Toutefois , l’on apprend de ce roman que durant la première guerre mondiale ,les Batanga ont été déportés dans certaines villes des régions anglophones ( Ekondo- Titi , Isanguélé , Kombo Abédimo ,Idabato , Jabané …) , après la victoire des alliés certains Batanga sont restés dans ces villes et la grande partie est retournée à Kribi .
La plus value de ce roman est de montrer la puissance de l’amour ,«Nous sommes agités de bien des façons par les causes extérieures et pareils aux flots de la mer , nous flottons inconscients de notre sort et de notre destin»a dit un poète , malgré l’incertitude de l’avenir , Bito l’infirmière a gardé l’espoir de retrouver son amant Salomon .Et leur amour a résisté à l’usure du temps quand ils se sont retrouvés des années après . Même étant vieux , ils s’aimaient toujours .
L’auteur Édouard Ehoungue est un amoureux des lettres et des arts , employé au Feicom , il est aussi cinéaste et photographe .Né à Kribi , Batanga est son 4ème ouvrage .