Dans ce texte , ce citoyen camerounais sâinsurge contre la tribalisation de la scĂšne politique .
LA GAUCHE CAMEROUNAISE NE DOIT PLUS LAISSER LA TRIBU AUX TRIBALISTES â PAR TIMBA BEMA
Depuis que je suis tombĂ© sur ce dessin, je nâai de cesse dây rĂ©flĂ©chir. Je nâai pas vraiment Ă©tĂ© choquĂ©. Je connaissais dĂ©jĂ le discours quâil vĂ©hicule. Mais ici, nous sommes passĂ©s Ă un Ă©tage supĂ©rieure, celui de lâimage, dont la circulation dans lâespace public et entre les consciences est toujours fulgurante, puisquâelle repose sur un ensemble de prĂ©jugĂ©s solidement ancrĂ©s, sinon assimilĂ©s Ă travers le temps. Cette image nâappelle donc plus Ă la rĂ©flexion, au recul, au doute : elle se suffit Ă elle-mĂȘme. Elle dit une vĂ©ritĂ© que rien ni personne ne pourrait contester. Elle reprĂ©sente un Sawa et un BamilekĂ©. Cette distinction ne ressort pas des caractĂ©ristiques physiques ou vestimentaires des deux personnages, qui sont dâailleurs dâune Ă©tonnante ressemblance. Câest le texte qui nous renseigne sur leurs origines. Lâun est BamilĂ©kĂ©, il sâappelle Soukoudjou. Sâagirait-il de Jean Rameau Sokoudjou, le Fo des Bamendjou ? La question est posĂ©e. Lâautre personnage est Sawa. Il nâest pas nâimporte qui pour moi, puisquâil sâagit de mon arriĂšre-grand-pĂšre Bema Moulende. Bema et Soukoudjou partagent une biĂšre, ils rient ensemble, ils marchent bras dessus bras dessous, pourtant, Soukoudjou tient dans son dos un poignard, un poignard qui en dit long sur son intention, qui est dâarracher, au moment opportun, sa vie et surtout ses biens Ă Bema.
En effet, Bema Moulende Ă©tait immensĂ©ment riche, une des premiĂšres grandes fortunes du Cameroun. Il sâĂ©tait enrichi dans lâagriculture intensive sur les terres fertiles du Moungo et diversifiait progressivement ses investissements dans lâimmobilier, lorsquâen 1960 il fut assassinĂ©. La rumeur la plus diffusĂ©e est quâil aurait Ă©tĂ© tuĂ© par ses ouvriers BamilĂ©kĂ© pour lui arracher ses terres. Lâimage montrant Soukoudjou et Bema Moulende trouve donc sa source ici. Cette narration prĂ©sente la guerre civile camerounaise dont le thĂ©Ăątre fut le Moungo et le pays BamilĂ©kĂ©, comme une entreprise hĂ©gĂ©monique des BamilĂ©kĂ© pour mettre la main sur lâEtat du Cameroun et sur les richesses du pays. Une narration Ă laquelle de nombreuses personnes croient encore aujourdâhui. Pourtant, elle est erronĂ©e. Puisque les vĂ©ritables raisons de lâassassinat de Bema Moulende sont : 1) le soutien financier quâil apportait aux insurgĂ©s de lâUPC et 2) les luttes de positionnement dans lâĂ©lite Duala.
Plus je regarde cette image, plus je me rends compte de la facilitĂ© avec laquelle on peut instiller la haine dans les veines de milliers dâindividus. Et surtout comment cette haine se nourrit dâelle-mĂȘme. Comme un feu qui se nourrit sans cesse de sa propre chaleur. Je crois que jâai eu la chance dâaccĂ©der Ă certaines archives, qui mâont permis dâentrevoir lâarchitecture du pouvoir au Cameroun qui est tribaliste, en ce sens que la tribu est instrumentalisĂ©e par lâextrĂȘme-droite camerounaise.
Lâassassinat de mon arriĂšre-grand-pĂšre mâa permis de comprendre que le tribalisme est une stratĂ©gie de conservation du pouvoir qui procĂšde, cela est essentiel, par la hiĂ©rarchisation des tribus : il y a la tribu supĂ©rieure, qui forcĂ©ment est appelĂ©e Ă gouverner toutes les autres ; les tribus intermĂ©diaires, qui servent les premiĂšres et en retirent quelques privilĂšges ; quant aux tribus infĂ©rieures, elles sont relĂ©guĂ©es au service des autres et il va sans dire que la porte du pouvoir leur est rĂ©solument fermĂ©e. Aujourdâhui, je me sens confortĂ© dans ma dĂ©cision de ne plus laisser la tribu aux tribalistes â ni la race aux racistes. La gauche camerounaise doit libĂ©rer la tribu des tribalistes. Elle a longtemps Ă©vitĂ© le sujet pour se rĂ©fugier dans la nation ou la rĂ©publique. Une nation, une rĂ©publique qui nient les individus et ne leur ressemble pas. DâaprĂšs moi, la clĂ© de la libĂ©ration du Cameroun passe par lâinvestissement de la tribu. Il faut bien comprendre que câest lâexistence-mĂȘme du pays qui est en jeu.
Les ami.e.s, commencez Ă vous habituer Ă cette nouvelle vague dâintellectuels comme moi qui nâont plus honte de leurs origines, de leur histoire, de qui ils sont, des intellectuels qui pensent Ă partir de ce quâils sont et tiennent un langage de vĂ©ritĂ© aux leurs et du monde. AprĂšs tout, câest aussi ça la mondialisation : ĂȘtre capable de parler Ă toutes les strates, toutes les oreilles du monde.