Ces dernières heures, une nouvelle passe d’armes a eu lieu entre Pékin et le président américain Joe Biden, sur fond de craintes d’une invasion chinoise à Taïwan.
La tensions entre la Chine et les Etats-Unis autour de Taïwan est vive depuis plusieurs mois.
Sa prise de parole était attendue, à l’occasion de sa première visite en Asie en tant que président des Etats-Unis. Ce lundi, lors d’une conférence de presse commune avec le Premier ministre japonais Fumio Kishida, Joe Biden est revenu sur les tensions existant entre Taïwan et la Chine, estimant que cette dernière « flirte avec le danger en volant si près (de Taïwan) » et « avec toutes les manœuvres » qu’entreprennent les Chinois. Le chef d’Etat a d’ailleurs affirmé que les Etats-Unis défendraient militairement Taïwan si Pékin envahissait l’île autonome, engagement qu’il avait déjà pris il y a huit mois.
Dans la foulée, la Chine a appelé Joe Biden à « ne pas sous-estimer » sa « ferme détermination » à « protéger sa souveraineté ». « Nous demandons instamment aux États-Unis (…) d’éviter d’envoyer de mauvais signaux aux forces indépendantistes », a ajouté Wang Wenbin, un porte-parole de la diplomatie chinoise. Après cette nouvelle passe d’armes, quelle est la situation actuelle à Taïwan ? .
Quels liens entre la Chine et Taïwan ?
Entre la Chine et Taïwan, c’est une très longue histoire. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’île était rattachée à la Chine, avant d’être cédée au Japon en 1895, à l’occasion de la signature du traité de Shimonoseki, actant notamment la fin de la guerre sino-japonaise. Ce n’est qu’en 1945, après la défaite du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale, que Taïwan repasse sous pavillon chinois, quand l’ONU lui en confie la stabilisation. En 1949, la victoire des communistes en Chine conduit à un exil de nombreux soutiens du gouvernement républicain vers Taïwan, avec en tête l’ancien dirigeant Tchang Kaï-Chek, chassé du pouvoir mais qui revendique toujours le contrôle de la République de Chine. Jusqu’en 1971, Taïwan représentera d’ailleurs la Chine à l’ONU, avant que la Chine populaire ne devienne membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, excluant de facto Taïwan de l’ONU.
« La Chine martèle que Taïwan fait partie intégrante de la Chine, et estime qu’elle doit être réunifiée, si nécessaire en utilisant la force, notamment en cas d’évolution sur l’indépendance de l’île ou de refus de céder de la part de Taïwan », explique Valérie Niquet, spécialiste des questions stratégiques et politiques en Asie. « Cette position s’est durcie depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir. Seulement, dans les faits, Taïwan n’a jamais réellement appartenu à la Chine, parler de réunification est donc un leurre. Par le passé, la Chine n’exerçait pas de contrôle véritable sur l’île, il s’agissait juste d’une zone d’influence », poursuit l’auteure de « Taïwan face à la Chine », paru aux éditions Tallandier.
Quels intérêts pour la Chine d’avoir Taïwan dans son giron ?
« D’un point de vue objectif, la Chine n’a pas réellement d’intérêt, notamment économique, à envahir Taïwan et à l’avoir dans son giron. Les relations commerciales et économiques sont déjà très étroites entre le continent et l’île, avec une interdépendance très forte. Le régime chinois a d’ailleurs plus d’intérêt à avoir une accalmie pour ses négociations commerciales », complète Valérie Niquet.
Et l’experte de voir la position chinoise davantage comme un choix idéologique : « L’acquisition de Taïwan revêt davantage une dimension idéologique, avec comme objectif principal le maintien du régime en place, considérant que la démocratie est une valeur occidentale. Un discours de plus en plus nationaliste se met en place en Chine, avec le rêve chinois, la renaissance de la nation chinoise, passant par le ralliement de Taïwan. »
Pourquoi les Etats-Unis se disent prêts à défendre militairement Taïwan ?
Lors de la conférence de presse commune avec le Premier ministre japonais, Joe Biden a répondu à plusieurs questions touchant à Taïwan, indiquant notamment que les Etats-Unis étaient prêts à défendre militairement Taïwan en cas d’offensive chinoise. Pour Valérie Niquet, cette déclaration ne remet pas en question la position des derniers mois des Américains, qui aident continuellement l’île à se défendre contre la Chine en leur fournissant des moyens militaires.
« Jusqu’ici, les USA disaient qu’ils ne s’interdisaient pas d’intervenir, laissant la Chine dans l’incertitude, explique-t-elle. La volonté des Etats-Unis est avant tout d’affirmer sa puissance par rapport à ses alliés, mais est aussi une leçon par rapport à la situation en Ukraine, où les Américains avaient déclaré dans les premiers jours du conflit qu’il n’y aurait aucune intervention militaire. Ici, la volonté est de dissuader la Chine d’intervenir, en les avertissant qu’en cas d’invasion, le coût serait considérable pour le pays. »
Une invasion chinoise est-elle possible ?
« Les Etats-Unis ont beaucoup mis en avant les risques d’une intervention chinoise à Taïwan ces dernières années, mais l’exemple de la guerre en Ukraine a changé la donne. La Chine est désormais plus prudente quant à une intervention militaire. De plus, l’armée chinoise n’a aucune expérience du combat depuis 1979 et doit faire face à un obstacle de taille, le détroit de Taïwan, d’une largeur de 130 à 180 kilomètres, où veillent notamment des unités américaines », souligne Valérie Niquet.
Dans le même temps, la spécialiste insiste sur le degré politique d’une telle invasion : « Le coût d’une attaque pour la Chine serait considérable, et en cas d’échec, le coup serait très dur pour le régime. Une intervention dans un avenir proche semble peu probable, surtout si Taïwan continue de se doter de moyens militaires. »