Les changements climatiques ont entraîné les effets que l’on peut imaginer et brassé la carte du monde, qui a changé pour le meilleur ou pour le pire. Dans une Afrique unifiée et prospère, des descendants d’immigrants européens qui ont fui le Sinistre vivent repliés sur leur identité narre Leonora Miano .
Née au Cameroun en 1973, vivant en France depuis 1991, Léonora Miano renverse les codes et les systèmes de domination. Elle imagine pour son dixième roman une sorte d’État utopique panafricain, le Katiopa, « unifié » après d’intenses luttes, qui est dirigé par l’Alliance, une caste de « traditionalistes éclairés qui avaient eu l’intelligence de ne pas congédier tout apport allogène, d’adapter au mode de vie actuel les pratiques anciennes qu’ils avaient conservées ou revitalisées ».
Accrochés à leurs traditions, priant leurs dieux en rêvant de leur grandeur passée, les Fulasi (nom donné aux Français immigrés et appauvris), comme bien d’autres réfugiés qui habitent aujourd’hui le Continent, sont vus par plusieurs comme une menace à la paix sociale — « L’Afrique, on l’aime ou on la quitte ».
Le leader de ce nouvel État, Ilunga, tombe amoureux d’une « femme rouge » à la démarche souveraine, Boya, aperçue dans la foule d’un marché de la capitale. Il la convoque et l’invite à s’installer dans la Maison des femmes du palais impérial. Universitaire spécialiste de ces classes de dépossédés qui refusent de s’intégrer et que le pouvoir préférerait expulser, Boya milite plutôt pour la réconciliation. Elle tentera petit à petit d’en convaincre Ilunga, le chef de Katiopa, en qui elle reconnaîtra aussi très vite une âme sœur.
Roman d’amour à l’érotisme franc, fable politique riche en rebondissements, Rouge impératrice est aussi puissamment féministe et mêle humour et ironie aux enjeux politiques et identitaires. Depuis L’intérieur de la nuit (Plon, 2005) et d’un livre à l’autre, Léonora Miano continue d’explorer à sa manière les tensions et la complexité des rapports entre l’Occident et l’Afrique.
Les idées sont fortes et le renversement opéré par l’écrivaine franco-camerounaise de 46 ans est stimulant. Mais le récit ploie souvent sous le discours abstrait de la narration et parvient mal à donner vraiment corps aux idées et à leur insuffler la vie. Ainsi, on reste à distance en lisant ce genre de phrases : « Voyant le kurta cramoisi qu’avait revêtu Kabundi, le mokonzi se félicita d’avoir opté pour un agbada noir, porté sur un sokoto étroit. »
Commentaire social brillant et très actuel qui prend le contre-pied des thèses complotistes façon « Grand remplacement », roman d’anticipation ambitieux qui jongle avec les malaises de notre époque, Rouge impératrice est un peu tout cela.
EXTRAIT DE «ROUGE IMPÉRATRICE»
À l’ouest du Continent, l’érosion côtière avait sévi pendant des décennies, effaçant ce qui avait été la côte atlantique, si bien qu’une ville comme Mbanza, la kitenta du Katiopa unifié, qui se nichait jadis à quelques encablures de Kinkala, donnait dorénavant sur l’océan. Plus que partout ailleurs, les vagues y avaient avalé la terre, les dirigeants successifs de la région étant trop occupés à se gaver de truffes et d’ortolans dans les restaurants huppés du pays fulasi, avant de s’endormir dans les hôtels particuliers qu’ils y possédaient, la peau du ventre bien tendue, la conscience tranquille. La superficie du Continent restait considérable, mais elle avait diminué et les terres englouties par les eaux avaient emporté dans leur noyade une partie des ressources agricoles. Ces Sinistrés devaient libérer les concessions qui leur avaient été laissées par pure charité.
Source: Le devoir