La présidence de la République camerounaise planche sur une loi modifiant les conditions d’éligibilité à la magistrature suprême. Si celle-ci était proposée puis adoptée par l’Assemblée, plusieurs opposants pourraient se voir écartés de la course.
Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!Par Yves Plumey Bobo (Jeune Afrique)
Publié le 18 juin 2024
À un an de la présidentielle de 2025 au Cameroun, les stratèges de Paul Biya intensifient les manœuvres en coulisses. En août 2023, quinze organisations de la société civile et sept partis d’opposition ont uni leurs forces pour proposer une modification consensuelle et participative du code électoral. Leur objectif : réformer le processus électoral avant les prochaines échéances. Le projet, contenant une centaine d’amendements, a ensuite été transmis à la présidence de la République.
Cette dernière n’a pas encore réagi officiellement, mais des discussions approfondies ont eu lieu en coulisses concernant les implications de ce projet. Selon nos sources, une première rencontre entre caciques du pouvoir s’est tenue en mars, au palais de l’Unité, à Etoudi. La réunion était dirigée par Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général à la présidence, et réunissait plusieurs pontes du régime.
Un discret conseil de stratèges chez Paul Biya
Parmi eux : Luc Sindjoun, conseiller spécial de Paul Biya, Jean Nkuete, secrétaire général du Comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), Jean-Claude Awala Wodougué, conseiller juridique de Paul Biya et Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale. Lors de cette réunion, il a été proposé de prolonger les mandats des députés et des maires et d’organiser les prochaines élections municipales et législatives en 2026.
Ces scrutins auraient alors lieu après une élection présidentielle anticipée. Selon le calendrier électoral initial, les élections législatives et municipales doivent pourtant se tenir en février 2025, suivies de l’élection présidentielle en octobre de la même année. Pour ce faire, les membres du gouvernement réunis en mars ont convenu de modifier, au préalable, le code électoral, conformément aux vœux de l’opposition.
Parmi les modifications ciblées par cette dernière : rendre le vote obligatoire, changer les modalités du contentieux pré et post électoral, fixer la majorité électorale à 18 ans et augmenter le nombre de députés à l’Assemblée. Mais les stratèges de la présidence souhaitent aller plus loin : ils envisagent d’ajouter l’obligation, pour tout candidat qui voudrait être investi à l’élection présidentielle par un parti politique, d’avoir milité trois ans au sein de cette formation.
Surtout, le projet en gestation dans les bureaux de Ferdinand Ngoh Ngoh instaurerait une autre obligation pour les candidats à la présidentielle : être investi par un parti politique représenté au Parlement ou se présenter en tant qu’indépendant. Dans ce dernier cas, le candidat devrait être parrainé par au moins 300 personnalités de toutes les régions, soit trente par région (parlementaires, conseillers régionaux ou municipaux, chefs traditionnels…).
Maurice Kamto et Cabral Libii écartés ?
Or, cette disposition, si le nouveau projet de loi en gestation était déposé et adopté à l’Assemblée nationale sans modification, pourrait disqualifier d’emblée des candidats potentiels à la présidentielle de 2025. Maurice Kamto, leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) et principal opposant, ainsi que Cabral Libii, député et président du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), seraient notamment visés.
Ayant boycotté les dernières élections législatives et municipales, Maurice Kamto ne dispose en effet pas des élus nécessaires pour satisfaire aux exigences actuelles pour une candidature présidentielle. Si la présidentielle devait avoir lieu avant les prochains scrutins locaux, il serait donc obligé d’en passer par le système des 300 parrainages dans un pays globalement verrouillé par le RDPC.
Cabral Libii, bien que disposant d’élus au sein de l’Assemblée nationale, pourrait lui aussi se voir écarté. Robert Kona, l’un des cadres fondateurs de son actuel parti, lui conteste en effet la présidence de la formation. Une bataille judiciaire est en cours, arbitrée par le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji, et Libii pourrait être légalement évincé. Il devrait donc se reporter sur un autre parti, sans élu, et passer par les parrainages.
Interrogés, Cabral Libii du PCRN, Joshua Osih, Djeumeni Benilde, députés du Front social-démocrate (SDF), et Jean Michel Nintcheu, cadre démissionnaire du SDF, initiateur de l’Alliance politique pour le changement (APC) et allié de Kamto, ont indiqué que le projet de loi discuté à la présidence n’était pas encore parvenu à l’Assemblée nationale et se sont pour le moment abstenus de tout commentaire.
Jeune Afrique