Culture : La colonisation allemande au Cameroun narrée à travers une série diffusée sur TV5 Monde
Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!Par Yahaya Idrissou
La sĂ©rie «Our Wishes» est lâĆuvre du cinĂ©aste Jean Pierre Bekolo dont le premier Ă©pisode sera diffusĂ© dimanche 05 avril 2020 à 18h (GMT ) , pour donner corps Ă cette histoire Ă©mouvante du Cameroun , des acteurs Camerounais pĂ©tris de talent ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©s .
Le point rĂ©fĂ©rentiel centrĂ© et concentrĂ© sur la sĂ©rie est le traitĂ© germano â Douala signĂ© le 12 juillet 1884 entre les rois Douala et les commerçants allemands officialisĂ© deux jours plus tard par Gustave Natchigal . Ă travers cette sĂ©rie , le rĂ©alisateur Jean Pierre Bekolo veut restituer la vĂ©ritĂ© des faits .Câest une sĂ©rie historico- didactique dont la fonction est de mettre en relief les Camerounais et leur passĂ© douloureux de la colonisation allemande . TournĂ©e depuis plusieurs annĂ©es , la diffusion de cette sĂ©rie intervient dans un contexte oĂč lâAllemagne veut revisiter son passĂ© colonial en Afrique .La tenue au Cameroun de « The burden of memory  » en 2019 organisĂ©e par lâInstitut Goethe a rĂ©uni les intellectuels et artistes allemands dâune part et d »autre part ceux des anciennes colonies allemandes .
Nous vous proposons cet entretien de Jean Pierre Bekolo donnĂ© Ă lâInstitut Goethe antenne de YaoundĂ© .
1) OUR WISHESâ est le titre de votre nouvelle production qui remet dâailleurs au goĂ»t du jour le passĂ© colonial du Cameroun avec lâAllemagne. Quelle est la trame de lâhistoire ?
â âOUR WISHESâ â se traduit en français par âNOS SOUHAITSâ. Il sâagit dâun document que les chefs Douala ont rĂ©digĂ© pour faire connaitre aux Allemands leurs souhaits alors quâils Ă©taient en train de nĂ©gocier le traitĂ© qui confiait leur territoire Ă ces derniers. Mais ce document a Ă©tĂ© ignorĂ© par les Allemands et on connait la suite. Au-delĂ de cette histoire, sâil y a une constante dans les relations entre lâAfrique et lâoccident, câest que nos souhaits ne sont jamais pris en compte. Vous avez compris lâesprit de tout le projet : il sâagit dâentrer dans notre histoire pour en tirer des leçons qui devraient nous servir aujourdâhui. Ce projet pour nous,câest comme une tentative câest-Ă -dire nous ouvrons une brĂšche sur lâhistoire du Cameroun qui nâest pas racontĂ©e. Lorsquâelle est racontĂ©e, câest de façon sommaire dans la perspective du vainqueur. Et câest dâautant important quâon commence avec un mĂ©dia populaire (la tĂ©lĂ©vision), un genre (sĂ©rie) oĂč de la mĂšre Ă lâenfant, tout le monde peut comprendre ce qui se passe. VoilĂ pourquoi nous avons optĂ© de faire âOur Wishesâ sous forme de sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e.
2) âOUR WISHESâ est une sĂ©rie TV de 26 minutes en 10 Ă©pisodes qui proposent sous la forme dâun pilote que lâhistoire nationale, ou encore le contenu patrimonial fasse son entrĂ©e sur nos chaĂźnes de tĂ©lĂ©vision.Quel intĂ©rĂȘt y a-t-il selon vous Ă rĂ©veiller ce pan de lâhistoire ?
â Je pense que nous sommes notre propre histoire. Si nous ne savons pas dâoĂč nous venons, il faut savoir au moins oĂč nous allons. Mais pire encore nous avons vĂ©cu rĂ©cemment ce quâon a appelĂ© la crise anglophone ; cette crise nous a amenĂ© Ă comprendre combien lâhistoire est importante. Pourquoi nous sommes nĂ©s au Cameroun, Pourquoi nous sommes francophones ou anglophones. Lâhistoire câest elle qui tranche en fait. Câest elle qui appelle à comprendre ce qui se passe et peut ĂȘtre nous guider sur ce quâil faudrait faire. Je pense que ce qui est important câest lâhistoire mĂȘme si lâon pense que nous sommes lâun des rares peuples qui peuvent Ă©voluer Ă lâaveugle sans consolider au fur et Ă mesure notre mĂ©moire collective. Câest-Ă -dire quâon comprenne bien, lâidentitĂ© ethnique vous pouvez lâavoir parce que vous allez au village, parce ce quâon vous la transmet dâune autre maniĂšre mais lâidentitĂ© nationale chez nous est Ă construire. Mais au de la de lâactualitĂ©, il y a des constantes dans la relation que nous Africains avons toujours eu avec lâoccident. Je pense Ă la corruption dont parle âOUR WISHESâ, le âdashâ que les Allemands ont donnĂ© aux chefs pour signer le traitĂ©. Je pense Ă la dĂ©valuation et Ă la dette pour faire pression sur ceux qui ne voulaient pas signer le traitĂ©. Il nây a pas besoin de vous faire un dessin pour dire en quoi cette histoire coloniale qui est mal enseignĂ©e quand elle nâest pas enseignĂ©e du tout dans nos Ă©coles est importante. Et cette sĂ©rie âOUR WISHESâ est une forme de rĂ©invention. Au-delĂ de toute cette histoire coloniale que nous prenons dans les archives et autres, nous devons aussi nous rĂ©inventer une nouvelle identitĂ©, ne pas se limiter Ă cette identitĂ© qui nous a Ă©tĂ© attribuĂ©e. Donc lâidĂ©e de ramener lâhistoire sur la place publique, crĂ©er une conversation ne peut que nous enrichir, nous amener Ă prendre de bonnes dĂ©cisions.Â
4) Parlez-nous des conditions de tournage de ce film (casting, choix des sites, financement)
-Ce film,nous le devons au travail formidable de Mme Karin Oyono une allemande installĂ©e au Cameroun depuis prĂšs de 40 ans avec son mari, camerounais; tous les deux ingĂ©nieurs des ponts et chaussĂ©es. Je rencontre Mme Oyono en 2004 alors que je tourne âLes Saignantesâ, sa niĂšce qui travaillait à lâ Hotel Hilton oĂč je logeais nous a mis en relation. Depuis 2004, je nâai pas rĂ©ussi Ă trouver les financements pour faire ce film qui a tenez-vous bien 2000 pages! Et lâannĂ©e derniĂšre, je me dis quâil fallait se lancer avec nos fonds propres. Le Goethe-Institut de YaoundĂ© nous a accompagnĂ© dans la limite de leurs moyens. Mais avec beaucoup de bonne foi et dâenthousiasme, Fabian MĂŒhlthaler et Raphael Mouchangou continuent dâexplorer comment offrir aux camerounais leur histoire. Jâai dĂ» crĂ©er un village Ă 40 km de YaoundĂ© pour construire les dĂ©cors de lâĂ©poque qui Ă©taient assez sommaire Ă Zili (Awae). Nous avons aussi pu tourner dans le palais du chef supĂ©rieur des Mveles Ze Mendouga Ă Ebolowa (Awae). Pour les techniciens et les acteurs, Jâai envie de dire que ceux qui mâaimaient mâont suivi, en dâautres termes, jâai tournĂ© le film avec mes amis car nous nâavions pas les moyens dâune super production comme ce fut le cas quand jâai fait Les « Saignantes ». Nous avons vĂ©cu trois mois dans la brousse et cela nous a inspirĂ© une autre maniĂšre dâaborder le cinĂ©ma ici chez nous⊠câest Ă dire en devenant notre propre centre.
5) La plupart de vos productions sont en rapport avec les rĂ©alitĂ©s contemporaines.Des thĂšmes aussi engagĂ©s les uns que les autres. On lâa vu avec âLes Saignantesâ, âQuartier Mozarâ ou encore âLe PrĂ©sident â. Le cinĂ©ma est âil donc pour vous une arme ou un divertissement ?
-Jâaime dĂ©finir le cinĂ©ma comme une image de radiologie, un scanner. Il doit montrer. Il doit nous permettre de voir, de voir aussi la maladie comme le scanner. Une fois quâil a montrĂ©, la sociĂ©tĂ© pourrait-elle mĂȘme se charger de trouver les remĂšdes. Ce nâest pas le radiologue qui prescrit le traitement, il se contente de faire lâimage. Quel sens donnez-vous au terme engagĂ©? Est-ce que dire la vĂ©ritĂ© câest ĂȘtre engagĂ©? Je me demande comment tous ces gens qui croient en Dieu et vont Ă lâĂ©glise ou Ă la mosquĂ©e ont renoncĂ© Ă la vĂ©ritĂ©? La vĂ©ritĂ© est une chose qui nous dĂ©passe tous. Et nous devons nous mettre Ă son service. Quand on ne sert pas la vĂ©ritĂ© on sert le mensonge⊠non?
Voyez-vous la race noire souffre dans lâimage globale du cinĂ©ma. Y a quâa voir les Oscars, le Festival de Cannes et autres. Le noir est un problĂšme dans lâestablishment du cinĂ©ma blanc. Parfois je me dis câest bien que nous nâayons pas de salle de CinĂ©ma car nous avons tout Ă construire. Donc quand nous abordons ces choses câest avec ce passif qui nous hante. Donc le cinĂ©ma on doit le dĂ©finir pour ce que nous voulons en faire. On a quand mĂȘme une relation avec notre image. Donc tant que nous ne saisissons pas ce potentiel que le cinĂ©ma nous offre, nous ne pourrons pas lâutiliser pour nous servir, pour nous aider Ă rĂ©soudre certains problĂšmes. Ce qui est clair câest que la colonisation nous a un peu rendu malade, et tout ce que la rencontre avec le blanc nous a fait comme mal, donc le cinĂ©ma lui peut ĂȘtre le mĂ©dicament qui nous soigne.
Je pose toujours la question en terme dĂ©mographique. Je ne sais pas si câest le cas pour le Cameroun mais la moitiĂ© de la population a moins de 17 ans du moins câest la moyenne en Afrique. Quand un enfant a moins de 17ans il doit ĂȘtre Ă lâĂ©cole ou en apprentissage donc vous comprenez bien que si vous ne faites quâun cinĂ©ma de divertissement, quelle sera la contribution Ă la formation de ces hommes de demain ?
6) Jean Pierre BEKOLO cinéaste depuis un peu plus de 25 ans. Le cinéma africain que vous défendez à travers le monde a-t-il déjà trouvé sa place ?
-Je ne sais pas quelle place vous pensez que nous devons trouver si ce nâest la place quâil doit occuper dans nos esprits Ă nous. Si je me lĂšve pour danser, câest parce que jâentends une musique qui me parle et me donne envie de bouger mon corps. Ce nâest pas parce que quelquâun me regarde. Câest comme ça que je conçois le travail que nous faisons. Je sors de Vienne ou âOUR WISHESâ est prĂ©sentĂ© jusquâau 18 juin au MusĂ©e LĂ©opold de Vienne. Mais ce nâest pas la sĂ©rie qui est prĂ©sentĂ©e aux Autrichiens, câest la maison camerounaise avec son salon et son Ă©cran de tĂ©lĂ©vision ou passe la sĂ©rie TV. En dâautres termes, je leur dit que je nâai pas fait cette sĂ©rie pour eux mais pour les camerounais, si maintenant ils veulent la regarder, ils doivent sâimprĂ©gner de lâambiance dans laquelle les camerounais vont la regarder en sâasseyant dans leur salon. Il est temps que nous proposions notre perspective au monde, comment nous voyons les choses. On dit que lâhistoire est toujours racontĂ©e du point de vue des vainqueurs. Ne soyons pas des perdants!
Ce que jâessaie de vous dire câest que la place dans le monde je refuse de vous dire parce que ça ne mâintĂ©resse pas. Je nâai pas envie dâaller impressionner des gens qui trĂšs clairement vous ont dĂ©clarĂ© la guerre dâimages, qui vous dominent. Quand aujourdâhui sur A+ câest un jeune français de 24 ans qui dĂ©cide de ce que vous allez voir et ça quand vous le savez, ça rĂ©volte. Ces sĂ©ries, ces tĂ©lĂ© films lĂ câest un jeune français qui dĂ©cide de dire ça câest bon pour vous les africains, ça ce nâest pas bon. Je comprends ceux qui se dĂ©brouillent aujourdâhui ils ont du mal Ă dire non. Dans un tel rapport de force nous disons que câest une guerre et nous la ressentons chaque jour parce que vous perdez un peu plus de votre identitĂ©, de votre dignitĂ©. Donc cette place ne mâintĂ©resse pas.